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Photo du rédacteurStéphane Abdallah ILTIS

Je suis deux

Dernière mise à jour : 27 août 2019

بِسْمِ اللهِ الرَّحْمٰنِ الرَّحِيْمِ


Je suis deux.


Autant le savoir, suivant les moments, mes interlocuteurs risquent d'avoir affaire à l'un ou l'autre avatar, et risquent d'être fort surpris tant les deux sont différents.


Il y a d'abord le King, MOI JE, qui se décline en plusieurs appellations distinctes : MOI JE sais tout ; MOI JE suis le plus beau ; MOI JE suis en colère ; MOI JE te méprise ; MOI JE suis condescendant...


MOI JE, c'est mon ego ; c'est la conscience aiguë de moi, de mon être.


C'est ce type imbuvable, qui tire toute la couverture à lui, qui la ramène tout le temps.


MOI JE est un sale gamin, jaloux et capricieux, susceptible et arrogant, têtu et boudeur.

Il est malpoli et aime se faire servir.


En opposition permanente, il n'est jamais d'accord (sauf quand on le flatte) et discute tout le temps, pour exister.


MOI JE a toujours raison, et se délecte des situations de conflit où il peut se poser en victime.

MOI JE est une excroissance, une ombre, qui se nourrit de tout ce que les sens perçoivent, qu'elle transforme en matière noire par imprégnation (sous son filtre la flatterie devient orgueil, l'invective devient colère, l'infériorité de l'autre devient mépris...), et qui croît démesurément au fur et à mesure qu'elle trouve à se repaître.


Et il y a l'autre mec, qui a du mal à exister tant MOI JE prend toute la place.


Alors quand MOI JE roupille, sevré pour un moment de ténèbres, réduit à peau de chagrin, flasque et dégonflé comme un ballon de baudruche, c'est lui qui prend les commandes.

Cet autre, c'est la créature nue, élémentaire, régie par la prime nature, la pure fitra.


Effacé, il n'obéit à rien d'autre que la loi naturelle.


Débarrassé de cette ombre qu'est l'amour propre, les flatteries ne lui parviennent que comme des fardeaux dont on le charge inutilement et qui l'embarrassent ; quant-aux offenses, elles ne l'attristent que pour leurs auteurs, qu'elles atteignent eux-mêmes sans qu'ils s'en rendent compte - car le pécheur se noircit de ses propres péchés : un peu comme un gars qui projette du pétrole poisseux dans tous les sens, mais s'en retrouve intégralement couvert à force de le brasser.


Humble, craintif, il ne juge ni n'élève la voix, dans le souci permanent de ne pas dévier de l'étroit sentier où il chemine pas à pas, fouetté par les vents de travers qui tentent de le pousser dans l'ornière ; mais le regard fixé sur l'Objectif - ce point de Lumière au loin - il ne se laisse distraire ni déstabiliser.


Sauf quand MOI JE, jusque là tapi, recroquevillé, se réveille soudain - stimulé, mis en alerte par quelque interaction inattendue tombée dans sa toile, dont il s'empare et se repaît comme une veuve noire fond sur sa proie ; et, déployant toute son envergure, vient obstruer le sentier, de son énormité retrouvée.


Car MOI JE, lui, capte les projections gluantes de l'offense, s'en nourrit, les assimile, et les transforme en haine dont il s'enfle ; perméable à la flatterie, il l'ingère et la transforme en une suie noire et compacte, qu'on appelle orgueil, dont il se gave et s'accroît ; possessif, il s'approprie les moindres actions de l'être qu'il habite, qui sous son effet corrupteur deviennent de vils dépôts de vanité dont il se gave et qui l'engraissent.


J'attends patiemment ce moment où l'étroit sentier sera suffisamment large et baigné de Lumière, pour que MOI JE finisse par y devenir un point insignifiant, irrémédiablement écrasé par cet Éclat infini, et incapable de se reformer sous une telle pression.

***


L'ego (an-nafs), c'est une ombre.


Une excroissance de l'âme, une tumeur - mais flottante, insaisissable.

Enflée des péchés qu'elle produit, par la transformation subjective de tout ce que les sens perçoivent et captent :


Sous son filtre, la flatterie devient orgueil, la supériorité manifeste devient arrogance, les attributs de l'autre deviennent convoitise et jalousie, la faiblesse d'untel devient mépris, la faute du tiers devient jugement, l'invective proférée contre soi devient colère, la différence et l'incompréhension de l'autre deviennent haine...

Et plus ces péchés sont nombreux, plus cette ombre s'étend, voile, enveloppe et occulte le cœur - au point d'empêcher la Lumière divine de filtrer.


Impalpable, immatérielle, mouvante, on ne peut la capturer.


Irréductible, inhérente à l'humain, elle ne meurt jamais, mais ne peut qu'être mise en veille, n'attendant qu'une impulsion pour se réveiller : en sommeil à l'état originel, c'est Iblis qui l'a éveillée chez Adam et Ève en leur révélant leur nudité - acte fondateur de la conscience de soi, l'ego.


Côté obscur de l'âme, elle en est l'attribut nécessaire.


Lutter directement contre elle est aussi vain qu'épuisant ; car on n'attaque pas une ombre de front.


Le seul moyen d'en venir à bout, c'est de la réduire jusqu'à extinction.


Et la réduire, c'est s'en détourner pour cesser de l'alimenter, et se tourner vers le cœur, siège de la Lumière divine, qu'il convient alors de stimuler.


Ce qui stimule le cœur, c'est l'amour.

Et c'est l'amour inconditionnel, dénué de passion, qui permet de s'oublier dans l'être aimé.


Dénué de passion, car l'amour passion c'est l'amour de soi projeté sur l'autre : cet amour, leurre du cœur, est en fait le fruit de l'ego qui s'en nourrit, n'ayant d'autre fin que lui-même, son assouvissement, sa pérennité.


Tandis que l'amour inconditionnel exclut l'ego, exclusivement tourné vers son objet.


Ainsi l'ego, sevré de matière, délaissé, se dessèche, périclite, dépérit.


Car l'ego (an-nafs), c'est aussi un système digestif qui ingère.


Et, à ce titre, un prédateur, un parasite.


D'abord immobile, à l'affût, tapi, il contrôle et se sert des sens pour capturer tout ce qui se présente : images, paroles, situations...

Alors il les ingurgite et les transforme par un processus digestif, faisant de chaque chose perçue la matière noire dont il est fait et dont il s'accroît : l'image de soi perçue dans un miroir devient ainsi sentiment de beauté et orgueil ; la simple vue d'un tiers qui agit ou s'exprime engendre un avis qui porte jugement...


L'orgueil et le jugement n'étant que des manifestations parmi d'autres de l'ego - ce qui le constitue :


Car l'ego n'existe que par le péché - et inversement.


Ce qui revient à dire que le péché révèle l'ego actif - comme la puanteur révèle la pourriture :


Je donne mon avis dans une assemblée sans qu'on me le demande : mon ego est à l'œuvre.


J'invective le conducteur qui me coupe la route et je juge sa conduite avec mépris : mon ego est à l'œuvre.


Je me vexe parce qu'untel ne m'a pas dit bonjour, ou m'a bloqué sur Facebook : mon ego est à l'œuvre.


Et pendant que mon ego est à l'œuvre, me piégeant dans le bas-monde où il me retient, me détournant de l'essentiel, je ne suis pas dans l'Amour divin où réside la Paix.


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